Dans quel délai le bailleur peut-il agir contre le locataire auteur d’un empiétement ?

Lorsque le propriétaire invoque un empiètement sur son terrain, il peut agir soit en protection de son droit de propriété en demandant la démolition de l’ouvrage, (il exerce dans ce cas une action en revendication dite « réelle »), soit agir en responsabilité contre l’auteur de la construction litigieuse en se contentant de solliciter des dommages et intérêts (il exerce ici une action dite « personnelle »).

Au-delà des mots, le choix effectué aura une incidence déterminante en termes de délais pour agir : dans le premier cas, le propriétaire victime de l’empiètement doit agir dans les trente ans de la connaissance de celui-ci ; dans le second cas, le délai d’action est ramené à cinq ans (articles 2224 et 2227 du Code civil).

On comprend donc l’intérêt pratique de la distinction et la nécessité de trouver un critère de partage entre les deux types d’action, et c’est précisément à cette question que la Cour de cassation a répondu dans un arrêt du 8 février 2023 (Cass. civ., 3ème, 8 février 2023, FS-B, n°21-20.535).

En l’espèce, une société civile immobilière avait donné un terrain à bail, sur lequel avait été construit une clinique. Plus tard, une extension avait été construite par le locataire, sur un terrain voisin dont le bailleur était également propriétaire, au mépris des stipulations du bail, et sans autorisation.

Le bailleur avait donc le choix entre agir en défense de son droit de propriété, et demander la démolition de l’ouvrage réalisé sans son accord (démolition systématiquement accordée en matière d’empiètement, quand bien même celui-ci serait minime, et que le propriétaire ne souffrirait d’aucun préjudice), soit se contenter de solliciter des dommages et intérêts, du fait de la violation du bail.

Au cas particulier, le bailleur n’avait aucun intérêt à demander la démolition de l’ouvrage, dès lors qu’aux termes du contrat, il en devenait propriétaire en fin de bail : conserver l’extension de la clinique, quand bien même elle aurait été construite sans son accord, participait donc de la valorisation des terrains.

Le bailleur, qui se contentait donc fort logiquement de demander des dommages et intérêts, invoquait par conséquent la violation du bail par le locataire, qui s’était abstenu de solliciter son accord pour réaliser l’extension litigieuse.

En agissant sur ce fondement, le bailleur ne sollicitait donc pas tant le respect de son droit de propriété (qui aurait supposé de demander en justice la démolition de l’ouvrage), que la condamnation du locataire à des dommages et intérêts pour avoir violé les termes du bail.

Problème, le bailleur n’avait pas agi dans le délai de cinq ans applicable en matière d’actions personnelles, qui court à compter « du jour auquel le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » (articles 2224 et 2227 du Code civil).

Les juridictions du fond avaient alors déclaré irrecevable l’action du bailleur, car prescrite, pour avoir été exercée plus de cinq ans après la connaissance de l’empiètement.

Devant la Cour de cassation, le propriétaire tentait d’invoquer que l’action n’était pas prescrite dès lors que l’empiètement n’avait pas pris fin, les constructions n’ayant pas été démolies, et qu’en tout état de cause il avait la faculté d’agir dans le délai de trente ans.

La Cour de cassation rejette l’argument et confirme l’arrêt d’appel en retenant la distinction suivante : lorsque le bailleur victime de l’empiètement sollicite la démolition de l’ouvrage, il exerce une action dite « réelle », soumise à la prescription trentenaire ; lorsqu’il demande en revanche de sanctionner le non-respect d’un engagement du bail, à travers des dommages et intérêts, il exerce cette fois une action dite « personnelle », qu’il lui appartient d’engager dans un délai de cinq ans.

La Cour refuse ensuite de faire « glisser » le point de départ du délai de prescription en prenant en compte le fait que l’empiètement perdurerait en raison de l’absence de démolition de l’ouvrage. Si la solution est sévère pour le propriétaire, elle est en réalité conforme à l’esprit du jeu de la prescription, qui tend à sanctionner le titulaire d’un droit qui aurait négligé de l’exercer dans le délai fixé par la Loi.

Face à un empiètement de son locataire sur un terrain voisin dont il est propriétaire, l’objectif du bailleur sera déterminant sur le délai pour agir : s’il entend poursuivre la destruction de l’immeuble érigé sans son accord, il pourra agir dans les trente ans qui suivent la connaissance de l’empiètement ; si à l’inverse, il se contente d’agir en dommages et intérêts pour violation des termes du bail, il lui appartiendra alors d’agir dans les cinq ans de la connaissance de l’empiètement.

Civ. 3ème, 8 février 2023, FS-B, n°21-20.535

César BUSCAIL
Cesar.buscail@avodire.fr