Renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs

Adoption de la Loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs dite Loi Descrozaille ou EGalim 3

Dans un contexte de tension inflationniste, cette Loi également appelée EGalim 3 a été promulguée avec l’ambition de rééquilibrer les négociations commerciales entre les fournisseurs de l’agroalimentaire et la grande distribution. Elle prolonge également deux mesures de loi EGalim 2 au profit des agriculteurs : l’encadrement des promotions et le seuil de revente à perte à 10% des produits alimentaires.

Toutefois, l’analyse des principales dispositions de ce texte met en avant un impact plus large concernant bien d’autres secteurs que l’agroalimentaire.

Concernent la filière agroalimentaire, le dispositif de relèvement du seuil de revente à perte, les précisions techniques sur les modalités d’intervention du tiers-indépendant prévue à l’article L 441-1-1 du Code de commerce ainsi que la limitation de la négociabilité du prix des produits alimentaires vendus sous marque de distributeur (MDD).

– Relèvement de 10% du seuil de revente à perte

Même si ce dispositif est décrié comme favorisant l’inflation des prix des produits alimentaires, il a été fait le choix de le prolonger jusqu’au 15 avril 2025.

Sont désormais exclues les fruits et légumes, sauf dérogation par arrêté du ministère de l’Agriculture sur demande motivée de l’interprofession.

– Précisions sur les modalités d’intervention du tiers indépendant pour les produits alimentaires et produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie

L’article L. 441-1-1 du Code de commerce est complété et vient désormais préciser que dans le cas où le fournisseur fait le choix dans ses conditions de vente de l’option 3 (intervention d’un tiers-indépendant pour attester la part de l’évolution de son tarif résultant de l’évolution du prix des matières premières agricoles ou des produits transformés composés à plus de 50% de celles-ci), le fournisseur doit communiquer à ce tiers-indépendant la méthodologie employée pour mesurer l’impact de cette évolution de prix sur son tarif.

Le tiers-indépendant communique alors une première attestation pour valider la méthodologie du fournisseur qui doit être transmise au distributeur dans le mois qui suit l’envoi des conditions générales de vente.

Une deuxième attestation doit par ailleurs toujours être fournie dans le mois qui suit la conclusion du contrat pour attester que la négociation commerciale n’a pas porté sur la part, dans le tarif du fournisseur, du prix des matières premières agricoles ou des produits transformés composés à plus de 50 % de celles-ci. A défaut, les parties qui souhaitent poursuivre leur relation contractuelle doivent modifier leur contrat dans un délai de deux mois à compter de la signature du contrat initial.

Rappelons ici que le non-respect de l’article L. 441-1-1 précité est sanctionné par une amende administrative de 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale. L’amende est doublée en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.

– Limitation de négociabilité en matière de produits alimentaires vendus sous MDD

L’article L. 441-7 du Code de commerce interdit désormais la négociation de la part du prix de ces produits correspondant à des matières premières agricoles ou à des produits transformés composés à plus de 50% de matières premières agricoles.

Au-delà de ces 3 mesures, l’essentiel des dispositifs introduits par EGalim 3 ont un impact sur des secteurs d’activités plus larges que la seule filière agroalimentaire.

– Encadrement des promotions

Le dispositif d’encadrement des avantages promotionnels, immédiats ou différés, ayant pour effet de réduire le prix de vente au consommateur est prolongé jusqu’au 15 avril 2026 et étendu aux produits de grande consommation, auparavant étaient seuls concernés les denrées alimentaires ou produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie.

Les produits de grande consommation (PCG) sont définis à l’article L. 441-4 du Code de commerce comme « des produits non durables à forte fréquence et récurrence de consommation ». L’article D. 441-9 du Code de commerce liste les PCG au sens de l’article L. 441-4 du Code de commerce. Cette liste est accessible ci-dessous :

Article D441-9 – Code de commerce – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

– Conséquences de l’absence d’accord à l’issue des négociations commerciales au 1er mars

Un nouveau dispositif expérimental est introduit à l’article L. 443-8 du Code de commerce pour les 3 prochaines années prévoyant qu’à défaut de convention écrite conclue à la date-butoir du 1er mars prévue par l’article L. 441-3 du Code de commerce (ou dans les deux mois suivant le début de commercialisation pour les produits ou services soumis à un cycle de commercialisation particulier), le fournisseur peut au choix :

– en l’absence de contrat nouvellement formé, mettre fin à toute relation commerciale avec le distributeur sans que ce dernier ne puisse invoquer de rupture brutale au sens de l’article L. 442-1- II du Code de commerce

demander la résiliation avec application d’un préavis qui conformément à l’article L. 442-1-II susvisé tient compte notamment de la durée de la relation commerciale et, pour la détermination du prix applicable durant le préavis, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties.

Le fournisseur et le distributeur peuvent également s’accorder pour saisir le médiateur des relations commerciales agricole ou le médiateur des entreprises pour trouver, sous son égide et avant le 1er avril, un accord fixant un préavis et les conditions économiques du marché. En cas d’accord, les nouvelles conditions négociées s’appliquent rétroactivement au 1er mars. A défaut d’accord, le fournisseur retrouve la possibilité de mettre fin au contrat ou de résilier dans les conditions évoquées ci-dessus.

L’obligation de négocier de bonne foi la convention écrite relatives aux PCG de l’article L. 441-4 du Code de commerce est réaffirmée. Le fait de ne pas avoir mené de bonne foi les négociations commerciales ayant pour conséquence l’absence d’accord au 1er mars est désormais constitutif d’une pratique commerciale restrictive de concurrence prohibée par l’article L. 442-1-I-5° du Code de commerce et susceptible d’engager la responsabilité de son auteur.

Rappelons ici que, pour les fournisseurs, distributeurs ou prestataires tenus en vertu de l’article L. 441-3 du Code de commerce de conclure une convention écrite à la date-butoir du 1er mars, le non-respect de cette obligation reste sanctionné, en application de l’article L. 441-6 du Code de commerce, par une amende administrative de 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale. L’amende est doublée en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.

Par exception, pour les PCG, l’amende administrative est désormais portée à 200 000 euros pour une personne physique et 1 000 000 euros pour une personne morale. L’amende est doublée en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.

– Nouveau cadre légal des pénalités logistiques

La Loi EGalim 3 prévoit que désormais :

  • Les obligations en matière logistique doivent faire l’objet d’une convention distincte. Cette convention distincte peut être conclue à tout moment de l’année et n’est pas résiliée automatiquement en cas d’arrivée à échéance ou de résiliation de la convention de fourniture principale.
  • La clause de pénalités doit prévoir une marge d’erreur suffisante au regard du volume de livraisons prévues par le contrat. Un délai suffisant doit être respecté pour informer l’autre partie en cas d’aléa. Seules les situations ayant entraîné des ruptures de stocks peuvent justifier l’application de pénalités logistiques, sauf si le client parvient à justifier le préjudice subi. A cet égard, un guide des bonnes pratiques sera édité pour aider les opérateurs ;
  • Le montant des pénalités logistiques doit être proportionné au préjudice subi au regard de l’inexécution contractuelle invoquée par le client et en tout état de cause ne peut excéder un plafond fixé à 2 % de la valeur des produits commandés relevant de la catégorie de produits concernés par l’inexécution contractuelle constatée ;
  • L’avis de pénalité logistique doit être accompagné en même temps de la preuve par tout moyen du manquement allégué et du préjudice. Le fournisseur doit disposer d’un délai raisonnable pour vérifier et, le cas échéant, contester la réalité du grief correspondant ;
  • La déduction d’office des pénalités logistiques ou de l’avoir émis de la facture du fournisseur est désormais interdite ;
  • Aucune pénalité logistique ne peut être infligée pour des inexécutions contractuelles survenues plus d’un an auparavant ;
  • Il est prévu la possibilité en cas de situation exceptionnelle, extérieure aux distributeurs et aux fournisseurs affectant gravement les chaînes d’approvisionnement dans un ou plusieurs secteurs, de suspendre l’application des pénalités logistiques par décret en Conseil d’Etat, pour une durée maximale de six mois renouvelable.

Constitue une pratique commerciale restrictive susceptible d’engager la responsabilité de son auteur, le fait d’imposer des pénalités logistiques ne remplissant pas les critères énumérés ci-dessus.

Les distributeurs ont par ailleurs l’obligation de communiquer à la DGCCRF au plus tard le 31 décembre de chaque année, les montants des pénalités logistiques infligées à leurs fournisseurs au cours des douze derniers mois ainsi que les montants effectivement perçus.  De même, les fournisseurs ont l’obligation d’informer la DGCCRF au plus tard le 31 décembre de chaque année, les montants des pénalités logistiques qui leur ont été infligées par les distributeurs au cours des douze derniers mois ainsi que ceux qu’ils ont effectivement versés.

Tout manquement à ces obligations déclaratives est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 euros pour une personne physique et 500 000 euros pour une personne morale. Le montant de l’amende est doublé en cas de réitération dans les deux ans de la première sanction.

– Nouveau cadre légal applicable aux grossistes

EGalim 3 apporte les nouveautés suivantes s’agissant des grossistes :

– L’article L. 441-1-2 du Code de commerce précise les mentions devant impérativement figurer dans les CGV applicables aux grossistes tant dans leurs relations avec les fournisseurs qu’avec les acheteurs et rappelle la possibilité pour les grossistes de prévoir des conditions générales par catégories de clients. A noter cependant que le grossiste n’est pas pour autant obligé de disposer de CGV.

L’application de l’article L. 441-1-1 du Code de commerce aux grossistes est exclue pour leurs actes d’achat et de revente. Par conséquent, les fournisseurs des grossistes ne sont pas tenus de détailler dans leurs CGV applicables à cette catégorie de clients la part des matières premières agricoles ou des produits transformés à base de matières premières agricoles entrant dans la composition de leurs produits.

Tout manquement à l’article L. 441-1-2 est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 15 000 euros pour une personne physique et 75 000 euros pour une personne morale.

– L’article L. 441-3-1 du Code de commerce précise les mentions devant impérativement figurer dans la convention écrite conclue soit entre le fournisseur et le grossiste, soit entre le grossiste et le distributeur ou le prestataire de services.

Tout manquement à l’article L. 441-3-1 est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale. L’amende est doublée en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.

– Interdiction de discrimination

La Loi EGalim 2 avait réintroduit à l’article L. 442-1-I-4° l’interdiction de pratiquer ou d’obtenir des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d’achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles mais avait réservé son application aux produits alimentaires ou ceux destinés à l’alimentation animale.

Cette restriction est levée de sorte que l’interdiction de discrimination concerne désormais toutes les relations commerciales.

 – Caractère impératif des dispositions du droit français relatives à la transparence tarifaire

EGalim 3 introduit un nouvel article L. 444-1 A du Code de commerce prévoyant que :

–  Les dispositions du Code de commerce relative à la transparence tarifaire (concrètement il s’agit des articles L. 440-1 à L. 443-8 du Code de commerce) sont d’ordre public et s’appliquent à toute convention entre un fournisseur et un acheteur pour des produits et services commercialisés sur le territoire français. La volonté affichée par le Législateur est ici d’éviter que le choix d’une loi différente par les parties ou la formalisation de la relation avec une centrale d’achats étrangère pour des livraisons réalisées en France permette de contourner les dispositions susvisées du Code de commerce. Pour les entreprises exportatrices, il est tout de même dommage que la fourniture de produits à l’étranger ne soit pas également concernée.

– Tout litige relatif à ces questions relève impérativement de la compétence des juridictions françaises. A nouveau les clauses de choix de juridiction seront écartées, sous réserve précise le texte du respect du droit de l’Union Européenne et sans préjudice du recours à l’arbitrage.