La question de la compétence de la juridiction saisie d’une demande fondée sur la rupture brutale de relations commerciales établies constitue une exception d’incompétence et non une fin de non-recevoir

Le fait de rompre des relations commerciales brutalement et sans respecter un préavis écrit d’une durée suffisante constitue une pratique restrictive de concurrence au sens de l’article L. 442-6 I devenu L. 442-1 du Code de commerce. Une telle pratique engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice subi par la partie qui en est victime.

Face à l’accroissement du contentieux de la rupture brutale qui donnait lieu à une jurisprudence foisonnante mais parfois contradictoire devant les différents tribunaux de commerce et cours d’appel de France et de Navarre, le Législateur a fait le choix d’attribuer compétence exclusive pour statuer sur les demandes fondées sur la rupture brutale à certaines juridictions en vertu de l’article L. 442-6 III devenu L. 442-4 III du Code de commerce et limitativement énumérées par l’article D. 442-3 devenu D. 442-2 du Code de commerce (en première instance, 8 tribunaux de commerce dont les siège et ressort sur l’ensemble du territoire français sont fixés par l’annexe 4-2-1 du Code de commerce et en appel, la seule Cour d’appel de Paris).

Cette compétence d’attribution exclusive est d’ordre public de sorte que dès que le caractère brutal de la rupture est invoqué au cours de l’action en justice et ce, même à titre reconventionnel, le tribunal saisi doit statuer sur l’application des dispositions précitées.

Initialement, la Cour de cassation était d’avis que la contestation de la compétence du tribunal saisi au regard des règles en matière de rupture brutale constituait une fin de non-recevoir dès lors que la juridiction saisie à tort ne figurant pas sur la liste de l’article D. 442-2 ne dispose pas légalement du pouvoir juridictionnel de statuer en matière de rupture brutale.

La fin de non-recevoir est définie à l’article 122 du Code de procédure civile comme tout moyen tendant tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir. En vertu de l’article 123 du Code de procédure civile, une fin de non-recevoir peut être évoquée à tout stade de la procédure (même en cause d’appel), sauf possibilité (rarement mise en œuvre en pratique cependant) pour le juge de prononcer des dommages-intérêts contre ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.

Invoquant un besoin de sécurité juridique accrue, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a cependant décidé dans son arrêt du 18 octobre 2023 (pourvoi n°21-15.378) de rompre avec sa position antérieure et qualifie désormais d’exception d’incompétence la contestation de la compétence juridictionnelle au regard de l’article D. 442-2.

Ce changement de qualification a essentiellement trois conséquences pratiques :

  • L’obligation de soulever l’incompétence de la juridiction saisie à tort de demandes fondées sur une rupture brutale, (in limine litis), avant toute défense au fond et en même temps que tout autre exception de procédure en vertu de l’article 74 du Code de procédure civile ;
  • Dès lors que les dispositions des articles L. 442-4 III et D. 442-2 précités sont d’ordre public, l’obligation pour la juridiction de se dessaisir, conformément à l’article 76 du Code de procédure civile. Si le litige n’est qu’en partie fondée sur la rupture brutale, le tribunal saisi à tort peut, à mon sens, retenir en partie sa compétence s’agissant des demandes fondées sur le droit commun mais doit, dans la mesure où existe un lien de connexité avec les demandes fondées sur la rupture brutale, surseoir à statuer dans l’attente que la juridiction spécialisée en matière de rupture brutale se soit prononcée ;
  • La demande en justice même présentée devant une juridiction incompétente au regard des dispositions combinées des articles L. 442-4 III et D. 442-2 du Code de commerce interrompt la prescription en vertu des article 2241 et 2243 du Code civil. Ce qui n’est pas le cas d’une demande rejetée à cause d’une fin de non-recevoir.

Il semble donc que ce revirement de jurisprudence pourrait avoir pour effet positif d’éviter les stratégies dilatoires dans le traitement des contentieux de rupture brutale.

Com. 18 oct. 2023, FS-B+R, n° 21-15.378